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Tetes Raides Lyrics for Song: Notre Besoin De Consolation Est Impossible À Rassasier
 Lyrics for Album: Banco [2007]
 
 
 
 1739>Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux
 
 Car un homme qui risque de craindre que sa vie
 
 Soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux.
 
 Je n'ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre
 
 D'où je puisse attirer l'attention d'un dieu.
 
 On ne m'a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique
 
 Les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l'athée.
 
 Je n'ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses
 
 Qui ne m'inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute
 
 Comme si celui-ci n'était pas, lui aussi, entouré de ténèbres.
 
 Cette pierre m'atteindrait moi-même car je suis bien certain
 
 D'une chose : le besoin de consolation que connaît l'être humain
 
 Est impossible à rassasier.
 
 
 
 En ce qui me concerne, je traque la consolation
 
 Comme le chasseur traque le gibier. Partout où je crois l'apercevoir
 
 Dans la forêt, je tire. Souvent je n'atteins que le vide mais
 
 Une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds.
 
 Et, comme je sais que la consolation ne dure que le temps
 
 D'un souffle de vent dans la cime d'un arbre
 
 Je me dépêche de m'emparer de ma victime.
 
 
 
 Qu'ai-je alors entre mes bras ?
 
 
 
 Puisque je suis solitaire : une femme aimée ou
 
 Un compagnon de voyage malheureux.
 
 Puisque je suis poète : un arc de mots que je ressens
 
 De la joie et de l'effroi à bander.
 
 Puisque je suis prisonnier : un aperçu soudain de la liberté.
 
 Puisque je suis menacé par la mort : un animal vivant et bien chaud
 
 Un cœur qui bat de façon sarcastique.
 
 Puisque je suis menacé par la mer : un récif de granit bien dur.
 
 
 
 Mais il y a aussi des consolations qui viennent à moi
 
 Sans y être conviées et qui remplissent ma chambre
 
 De chuchotements odieux : Je suis ton plaisir ? Aime-les tous !
 
 Je suis ton talent ? Fais-en aussi mauvais usage que de toi-même !
 
 
 
 Le fil du rasoir est bien étroit. Je vois ma vie menacée par deux périls
 
 Par les bouches avides de la gourmandise
 
 De l'autre par l'amertume de l'avarice qui se nourrit d'elle-même.
 
 Mais je tiens à refuser de choisir entre l'orgie et l'ascèse
 
 Même si je dois pour cela subir le supplice du gril de mes désirs.
 
 Pour moi, il ne suffit pas de savoir que
 
 Puisque nous ne sommes pas libres de nos actes, tout est excusable.
 
 Ce que je cherche, ce n'est pas une excuse à ma vie
 
 Mais exactement le contraire d'une excuse : le pardon.
 
 L'idée me vient finalement que toute consolation
 
 Ne prenant pas en compte ma liberté est trompeuse
 
 Qu'elle n'est que l'image réfléchie de mon désespoir.
 
 En effet, lorsque mon désespoir me dit : Perds confiance
 
 Car chaque jour n'est qu'une trêve entre deux nuits
 
 La fausse consolation me crie : Espère
 
 Car chaque nuit n'est qu'une trêve entre deux jours.
 
 
 
 Mais l'humanité n'a que faire d'une consolation
 
 En forme de mot d'esprit : elle a besoin d'une consolation qui illumine.
 
 Et celui qui souhaite devenir mauvais, c'est-à-dire
 
 Devenir un homme qui agisse comme si
 
 Toutes les actions étaient défendables, doit au moins avoir
 
 La bonté de le remarquer lorsqu'il y parvient.
 
 
 
 Personne ne peut énumérer tous les cas
 
 Où la consolation est une nécessité.
 
 Personne ne sait quand tombera le crépuscule
 
 Et la vie n'est pas un problème qui puisse être résolu
 
 En divisant la lumière par l'obscurité et les jours par les nuits
 
 C'est un voyage imprévisible entre des lieux qui n'existent pas.
 
 Je peux, par exemple, marcher sur le rivage
 
 Et ressentir tout à coup le défi effroyable que l'éternité lance
 
 À mon existence dans le mouvement perpétuel de la mer
 
 Et dans la fuite perpétuelle du vent.
 
 Que devient alors le temps, si ce n'est une consolation pour le fait
 
 Que rien de ce qui est humain ne dure ?
 
 Et quelle misérable consolation, qui n'enrichit que les Suisses !
 
 
 
 Je peux rester assis devant un feu
 
 Dans la pièce la moins exposée de toutes au danger
 
 Et sentir soudain la mort me cerner.
 
 Elle se trouve dans le feu, dans tous les objets pointus
 
 Qui m'entourent, dans le poids du toit et dans la masse des murs.
 
 Elle se trouve dans l'eau, dans la neige
 
 Dans la chaleur et dans mon sang.
 
 Que devient alors le sentiment humain de sécurité
 
 Si ce n'est une consolation pour le fait
 
 Que la mort est ce qu'il y a de plus proche de la vie ?
 
 Et quelle misérable consolation
 
 Qui ne fait que nous rappeler ce qu'elle veut nous faire oublier !
 
 
 
 Je peux remplir toutes mes pages blanches
 
 Avec les plus belles combinaisons de mots
 
 Que puisse imaginer mon cerveau.
 
 Étant donné que je cherche à m'assurer que ma vie n'est pas absurde
 
 Et que je ne suis pas seul sur la terre
 
 Je rassemble tous ces mots en un livre et je l'offre au monde.
 
 En retour, celui-ci me donne la richesse, la gloire et le silence.
 
 Mais que puis-je bien faire de cet argent et quel plaisir
 
 Puis-je prendre à contribuer au progrès de la littérature ?
 
 Je ne désire que ce que je n'aurai pas.
 
 Confirmation de ce que mes mots ont touché le cœur du monde.
 
 Que devient alors mon talent si ce n'est une consolation
 
 Pour le fait que je suis seul ? Mais quelle épouvantable consolation
 
 Qui me fait simplement ressentir ma solitude cinq fois plus fort !
 
 
 
 Je peux voir la liberté incarnée dans un animal
 
 Qui traverse rapidement une clairière et entendre une voix qui chuchote
 
 Vis simplement, prends ce que tu désires et n'aie pas peur des lois !
 
 Mais qu'est-ce que ce bon conseil si ce n'est une consolation
 
 Pour le fait que la liberté n'existe pas ?
 
 Et quelle impitoyable consolation pour celui qui s'avise
 
 Que l'être humain doit mettre des millions d'années à devenir un lézard !
 
 
 
 Pour finir, je peux m'apercevoir que cette terre est une fosse commune
 
 Dans laquelle le roi Salomon, Ophélie et Himmler reposent côte à côte.
 
 Je peux en conclure que le bourreau et la malheureuse
 
 Jouissent de la même mort que le sage
 
 Et que la mort peut nous faire l'effet d'une consolation
 
 Pour une vie manquée. Mais quelle atroce consolation
 
 Pour celui qui voudrait voir dans la vie une consolation pour la mort !
 
 
 
 Je ne possède pas de philosophie dans laquelle
 
 Je puisse me mouvoir comme le poisson dans l'eau
 
 Ou l'oiseau dans le ciel. Tout ce que je possède est un duel
 
 Et ce duel se livre à chaque minute de ma vie
 
 Entre les fausses consolations, qui ne font qu'accroître mon impuissance
 
 Et rendre plus profond mon désespoir, et les vraies
 
 Qui me mènent vers une libération temporaire.
 
 Je devrais peut-être dire : la vraie car, à la vérité
 
 Il n'existe pour moi qu'une seule consolation qui soit réelle
 
 Celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable
 
 Un être souverain à l'intérieur de ses limites.
 
 
 
 Mais la liberté commence par l'esclavage
 
 Et la souveraineté par la dépendance.
 
 Le signe le plus certain de ma servitude est ma peur de vivre.
 
 Le signe définitif de ma liberté est le fait que ma peur
 
 Laisse la place à la joie tranquille de l'indépendance.
 
 On dirait que j'ai besoin de la dépendance
 
 Pour pouvoir finalement connaître la consolation d'être un homme libre
 
 Et c'est certainement vrai. À la lumière de mes actes
 
 Je m'aperçois que toute ma vie semble n'avoir eu pour but
 
 Que de faire mon propre malheur. Ce qui devrait m'apporter la liberté
 
 M'apporte l'esclavage et les pierres en guise de pain.
 
 
 
 Les autres hommes ont d'autres maîtres.
 
 En ce qui me concerne, mon talent me rend esclave
 
 Au point de pas oser l'employer, de peur de l'avoir perdu.
 
 De plus, je suis tellement esclave de mon nom
 
 Que j'ose à peine écrire une ligne, de peur de lui nuire.
 
 Et, lorsque la dépression arrive finalement, je suis aussi son esclave.
 
 Mon plus grand désir est de la retenir
 
 Mon plus grand plaisir est de sentir que tout ce que je valais
 
 Résidait dans ce que je crois avoir perdu.
 
 La capacité de créer de la beauté à partir
 
 De mon désespoir, de mon dégoût et de mes faiblesses.
 
 Avec une joie amère, je désire voir mes maisons tomber en ruine
 
 Et me voir moi-même enseveli sous la neige de l'oubli.
 
 Mais la dépression est une poupée russe et, dans la dernière poupée
 
 Se trouvent un couteau, une lame de rasoir, un poison
 
 Une eau profonde et un saut dans un grand trou.
 
 Je finis par devenir l'esclave de tous ces instruments de mort.
 
 Ils me suivent comme des chiens à moins que le chien, ce ne soit moi.
 
 Et il me semble comprendre que le suicide
 
 Est la seule preuve de la liberté humaine.
 
 
 
 Mais, venant d'une direction que je ne soupçonne pas encore
 
 Voici que s'approche le miracle de la libération.
 
 Cela peut se produire sur le rivage, et la même éternité qui
 
 Tout à l'heure, suscitait mon effroi est maintenant le témoin
 
 De mon accession à la liberté. En quoi consiste donc ce miracle ?
 
 Tout simplement dans la découverte soudaine que personne
 
 Aucune puissance, aucun être humain n'a le droit d'énoncer envers moi
 
 Des exigences telles que mon désir de vivre vienne à s'étioler.
 
 Car si ce désir n'existe pas, qu'est-ce qui peut alors exister ?
 
 
 
 Puisque je suis au bord de la mer, je peux apprendre de la mer.
 
 Personne n'a le droit d'exiger de la mer qu'elle porte tous les bateaux
 
 Ou du vent qu'il gonfle perpétuellement toutes les voiles.
 
 De même, personne n'a le droit d'exiger de moi
 
 Que ma vie consiste à être prisonnier de certaines fonctions.
 
 Pour moi, ce n'est pas le devoir avant tout mais : la vie avant tout.
 
 Tout comme les autres hommes, je dois avoir droit à des moments
 
 Où je puisse faire un pas de côté et sentir que je ne suis pas
 
 Seulement une partie de cette masse que l'on appelle
 
 La population du globe, mais aussi une unité autonome.
 
 
 
 Ce n'est qu'en un tel instant que je peux être libre vis-à-vis de
 
 Tous les faits de la vie qui, auparavant, ont causé mon désespoir.
 
 Je peux reconnaître que la mer et le vent ne manqueront pas
 
 De me survivre et que l'éternité se soucie peu de moi.
 
 Mais qui me demande de me soucier de l'éternité ?
 
 Ma vie n'est courte que si je la place sur le billot du temps.
 
 Les possibilités de ma vie ne sont limitées que si je compte
 
 Le nombre de mots ou le nombre de livres auxquels
 
 J'aurai le temps de donner le jour avant de mourir.
 
 Mais qui me demande de compter ?
 
 Le temps n'est pas l'étalon qui convient à la vie.
 
 Au fond, le temps est un instrument de mesure sans valeur
 
 Car il n'atteint que les ouvrages avancés de ma vie.
 
 
 
 Mais tout ce qui m'arrive d'important et tout ce qui donne à ma vie
 
 Son merveilleux contenu : la rencontre avec un être aimé
 
 Une caresse sur la peau, une aide au moment critique
 
 Le spectacle du clair de lune, une promenade en mer à la voile
 
 La joie que l'on donne à un enfant, le frisson devant la beauté
 
 Tout cela se déroule totalement en dehors du temps.
 
 Car peu importe que je rencontre la beauté l'espace d'une seconde
 
 Ou l'espace de cent ans. Non seulement la félicité se situe
 
 En marge du temps mais elle nie toute relation entre celui-ci et la vie.
 
 
 
 Je soulève donc de mes épaules le fardeau du temps et
 
 Par la même occasion, celui des performances que l'on exige de moi.
 
 Ma vie n'est pas quelque chose que l'on doive mesurer.
 
 Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances.
 
 Une vie humaine n'est pas non plus une performance
 
 Mais quelque chose qui grandit et cherche à atteindre la perfection.
 
 Et ce qui est parfait n'accomplit pas de performance
 
 Ce qui est parfait œuvre en état de repos.
 
 Il est absurde de prétendre que la mer soit faite
 
 Pour porter des armadas et des dauphins. Certes, elle le fait ?
 
 Mais en conservant sa liberté.
 
 Il est également absurde de prétendre que l'homme soit fait
 
 Pour autre chose que pour vivre.
 
 Certes, il approvisionne des machines et il écrit des livres
 
 Mais il pourrait tout aussi bien faire autre chose.
 
 L'important est qu'il fasse ce qu'il fait en toute liberté et en pleine
 
 Conscience de ce que, comme tout autre détail de la création, il est
 
 Une fin en soi. Il repose en lui-même comme une pierre sur le sable.
 
 
 
 Je peux même m'affranchir du pouvoir de la mort.
 
 Il est vrai que je ne peux me libérer de l'idée
 
 Que la mort marche sur mes talons et encore moins nier sa réalité.
 
 Mais je peux réduire à néant la menace qu'elle constitue
 
 En me dispensant d'accrocher ma vie à des points d'appui
 
 Aussi précaires que le temps et la gloire.
 
 
 
 Par contre, il n'est pas en mon pouvoir de rester perpétuellement
 
 Tourné vers la mer et de comparer sa liberté avec la mienne.
 
 Le moment arrivera où je devrai me retourner vers la terre
 
 Et faire face aux organisateurs de l'oppression dont je suis victime.
 
 Ce que je serai alors contraint de reconnaître
 
 C'est que l'homme a donné à sa vie des formes qui
 
 Au moins en apparence, sont plus fortes que lui.
 
 Même avec ma liberté toute récente, je ne puis les briser
 
 Je ne puis que soupirer sous leur poids.
 
 Par contre, parmi les exigences qui pèsent sur l'homme
 
 Je peux voir lesquelles sont absurdes et lesquelles sont inéluctables.
 
 Selon moi, une sorte de liberté est perdue
 
 Pour toujours ou pour longtemps.
 
 C'est la liberté qui vient de la capacité de posséder son propre élément.
 
 Le poisson possède le sien, de même que l'oiseau
 
 Et que l'animal terrestre. Thoreau avait encore la forêt de Walden ?
 
 Mais où est maintenant la forêt où l'être humain puisse prouver qu'il
 
 Est possible de vivre en liberté
 
 En dehors des formes figées de la société ?
 
 
 
 Je suis obligé de répondre : nulle part.
 
 Si je veux vivre libre, il faut pour l'instant que je le fasse
 
 À l'intérieur de ces formes. Le monde est donc plus fort que moi.
 
 À son pouvoir, je n'ai rien à opposer que moi-même ?
 
 Mais, d'un autre côté, c'est considérable.
 
 Car, tant que je ne me laisse pas écraser par le nombre
 
 Je suis moi aussi une puissance.
 
 Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer
 
 La force de mes mots à celle du monde
 
 Car celui qui construit des prisons s'exprime moins bien
 
 Que celui qui bâtit la liberté.
 
 Mais ma puissance ne connaîtra plus de bornes le jour où
 
 Je n'aurai plus que le silence pour défendre mon inviolabilité
 
 Car aucune hache ne peut avoir de prise sur le silence vivant.
 
 
 
 Telle est ma seule consolation.
 
 Je sais que les rechutes dans le désespoir
 
 Seront nombreuses et profondes, mais le souvenir du miracle
 
 De la libération me porte comme une aile vers un but
 
 Qui me donne le vertige : une consolation qui soit plus
 
 Qu'une consolation et plus grande qu'une philosophie
 
 C'est-à-dire une raison de vivre.
 
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